Spider Man No Way Home : de retour les pieds sur terre ?

Capture d'écran

Spider-Man écrase tout au box-office mondial, faisant revenir le score des entrées et des bénéfices à un niveau pré-Covid, ce qui semblait inespéré depuis le début de la pandémie. 

Alors que les spectateurs se rendent de moins en moins en salle, un effet de masse relatif se crée autour du nouvel opus des chroniques de Spider-Man sous l’auspice bienveillante et terrible du titan Disney/Marvel Studios. Un véritable phénomène de pop-culture. Il n’y a qu’à regarder les vidéos des réactions des spectateurs aux Avant-Premières du film – notamment au Grand Rex – pour se rendre compte de l’ambiance de finale de coupe du monde qui y régnait. 

Comment expliquer ce phénomène, surprenant pour un studio habitué à aseptiser et uniformiser tous ses projets filmiques afin de maximiser les bénéfices ?

Le mentor milliardaire et égocentrique remplacé par un cheminement plus personnel

Si les fans de Marvel les plus dévoués ont suivi – comme ils le font toujours avec un mélange d’habitude et d’enthousiasme – les précédentes chroniques du Spider-Man de Tom Hollande de Marvel – avec Homecoming et Far From Home – et avaient globalement bien apprécié ces films, un reproche revenant souvent était que cette version de Spider-Man n’arrivait pas à s’illustrer pleinement dans ces films. 

Pour cause, d’autres super-héros venaient lui voler la vedette – Tony Stark aka Iron-Man dans le premier, et Mysterio dans le second – et, sous prétexte de le mentoriser et de le former, ils lui empêchaient de tisser réellement sa toile. 

Si l’on est un peu observateur et que l’on fait attention aux relations de classe de ces films, on se rend compte que Peter Parker se fait repérer par des sortes de mécènes philanthropes qui se revendiquent mégalomanes – comme Elon Musk et Jeff Bezos, oui – et lui donnant moult armures nano-technologiques et financements. 

C’était un grand éloignement du Spider-Man tel qu’il était créé originellement par Stan Lee et Steve Dikto, c’est à dire “l’araignée sympa du quartier populaire” new-yorkais du Queens et qui sauve des innocents d’accidents entre deux livraisons de pizza pour boucler ses fins de mois. Un héros fortement ancré dans son environnement urbain populaire et les thématiques socio-économiques qui en découlent. 

Des thématiques absentes de cette version Marvel. Alors que les trailers du troisième opus se succédaient, les fans craignaient encore une fois que Spider-Man serait effacé par un autre mentor, le mystique Doctor Strange, interprété par le charismatique Benedict Cumberbatch. Sauf que Strange n’as rien d’un philanthrope milliardaire et prend plus le rôle de guide spirituel pour Spider-Man qui, pour la première fois, devra se confronter à ses erreurs, ses échecs et les conséquences de ce que c’est d’être un héros. Cela change beaucoup. 

L’histoire est en effet beaucoup plus personnelle. 

Dès le début, Spider-Man est confronté au dévoilement public de sa véritable identité, et sa vie en sera affectée. En tant que Peter Parker, lui et ses amis seront harcelés, interrogés par la police, rateront leurs admissions à l’université… quelque chose de, en soi, beaucoup plus terre à terre. 

Il demandera alors à Doctor Strange de faire un sort pour, en quelque sorte, changer le passé et de faire oublier à tout le monde sa véritable identité. Mais il hésite, se ravise, perturbe Strange, et le sortilège rate. Il se rend vite compte que des ennemis d’autres mondes pénètrent dans le sien – comprendre : des ennemis d’autres films, avec d’autres acteurs. 

L’idée de cet arc avec ces “méchants” tourne autour d’une idée assez simple, mais plutôt pertinente et originale pour un film du genre : que faire d’eux ? Les renvoyer dans leur monde signifierait vraisemblablement les condamner à mort et bien que Strange affirme que c’est leur destin, Spider-Man ne peut s’y résoudre. Il prend le risque de mettre en danger lui et ses proches pour des raisons morales. 

Cela arrivait parfois dans les Marvels précédents mais sans réelle conséquence. Ici, la pitié de Peter Parker pour le Bouffon Vert – interprété par un William Dafoe jubilatoire comme à son habitude – mèneront au meurtre de sa tante, la fameuse Tante May. Bien que le film ait du mal à réellement faire ressentir de la tristesse au spectateur – la scène reste trop distante, trop propre – nous pouvons saluer l’effort du film pour faire affronter des choses plus humaines, plus fortes, au héros du film et, surtout, lui faire comprendre que ses actes ont des conséquences. 

Les “véritables héros” ne peuvent changer le passé, ils doivent vivre avec et continuer leur route avec leurs valeurs morales, quel qu’en soit le prix. Quelque chose d’au final assez banal et commun pour un récit, mais définitivement trop rare dans un Marvel. 

Les figures mythiques dans notre quotidien

L’évolution du personnage ne se fera pas seulement par la venue de ces “méchants”. D’autres personnages des films précédents – la trilogie Spiderman de Sam Raimi, sortie dans les années 2000, et la trilogie “ratée” car ne contenant au final que deux films de The Amazing Spiderman – font leurs retours et pas des moindres. 

C’était le grand mystère parmi les fans avant la sortie du film et dans les trailers : est-ce que les anciens Spider-Man interprétés par le lunatique et rêveur Tobey Maguire et l’excellent Andrew Garfield feront leur retour ? Le studio – ainsi que sa maîtrise terrifiante du marketing et de la communication – se sont bien gardés d’y répondre avant la sortie du film et la réponse est bien entendue : oui, bien sûr. Ce ne sont ni les premiers ni les derniers à appuyer sur la corde de la nostalgie pour vendre des billets – nous pouvons citer l’exemple désastreux de Star Wars par exemple. Mais là encore il y a quelques surprises inhabituelles, et même quelque chose d’assez touchant.

Nous pourrions nous attendre que Marvel, en bonne entreprise capitaliste, serve au spectateur ces précédents Spider-Man sur un tableau d’argent, avec qui sait une apparition surprise sur un champ de bataille, sauvant les protagonistes et leurs amis au dernier moment. L’effet aurait sans doute été là, et les fans ravis : il faut dire que, lorsque l’on est fan de Marvel et qu’on va voir ces films, on y va presque comme à un match de foot, en y espérant voir des actions à rebondissement et nos joueurs préférés qui s’illustrent par leurs actions, sans forcément d’expérience esthétique et de rapport artistique au film. 

Pourtant, No Way Home surprend ici. Andrew Garfield et Tobey Maguire font irruption dans un salon, dans une cuisine. Sans explosion, sans superflu, sans folklore, ou presque. Tout est dans la retenue, dans le dosage, dans la direction d’acteurs refusant la surréaction habituelle ou, au contraire, l’apathie. 

La scène de leur retour à un aspect presque quotidien : le héros du film n’en fait même pas partie, on est au contraire avec deux étudiants qui révisent, dont l’une travaillant dans une boulangerie, qui sont dépassés par ce qu’il se produit sous leurs yeux. L’idée, le concept inconscient qui s’y traduit, est simple : cette cuisine, ce salon, ce sont nos cuisines et nos salons, ou plutôt les cuisines et les salons de tous les fans de ces vingt dernières années qui, pour la plupart, sont jeunes et ont grandi avec ces super-héros et ces acteurs dans leur enfance et leur adolescence, que ce soit au cinéma ou dans leurs rediffusions télévisées, qu’ils voyait ici et là sans même forcément être un fan. 

L’entrée dans le quotidien de ces personnages est équivalente à leur irruption dans notre quotidien. C’est pourquoi nous voyons Andrew Garfield grimper sur le plafond, et Maguire montrer son costume de super-héros sous son t-shirt avec un discret sourire. Le film met le doigt sur quelque chose d’assez personnel et intime, le rapport du public à ses héros, à ses mythes, à ses acteurs, presque à un niveau inconscient. Au final, il s’agit presque d’un rapport particulier, à son enfance, à son adolescence, à soi.

Cela aurait pu être juste un retour presque conservateur et réactionnaire au passé, sans créer rien de nouveau et en ne gardant que ce qui convient et non ce qui ne convient pas – comme l’a fait le même Disney avec Star Wars en effaçant la prélogie de Georges Lucas pour ne garder que la trilogie originelle et la ré-user au point du vomissement. Un simple retour nostalgique qui nous enferme dans une vision idéalisée du passé et qui, au final, nous empêche d’avancer et même de grandir. 

Ici, il n’en est rien, c’est même tout l’inverse. Cela passe par le rapport de Spider-Man avec ses autres versions des autres dimensions, et donc avec soi-même. 

La rencontre entre le Peter Parker de Tom Holland et ceux de Garfield et Maguire arrivera plus tard dans le film. Mais lorsqu’elle a lieu, les dialogues sont, encore une fois, surprenants. Les références sexuelles sont légions, entre les fameuses pannes, le dos rouillé, les gestes et blagues que font l’un l’autre sur tout simplement la manière dont ils produisent des “toiles” avec leurs poignets. Pourtant, si c’est potache, c’est assumé de manière légère ce qui empêche la lourdeur, et le film fait passer tout cela comme une manière plutôt saine de s’ausculter, avec la fameuse bienveillance dont il est tant question aujourd’hui – parfois jusqu’à l’écoeurement – sur les questions de bien-être personnels. 

Holland et Maguire vont jusqu’à remonter le moral de Garfield en lui disant qu’il est “amazing”. Et au final, c’est tout un questionnement sur le fait de s’aimer, d’avoir confiance en soi, une thématique assez classique dans le récit initiatique d’un héros mais qui, par le format du film et son idée de croisement des univers et des dimensions, est traitée de façon assez originale.

Une expérience cinématographique surprenante pour un Marvel

Au-delà de ça, il y a un aspect plus global et cinématographique qui en ressort : le fait de tout garder de son passé, de ne rien rejeter, sans pour autant dire que tel film est mieux ou pas, mais que chaque projet filmique avait une démarche artistique et personnelle valable. 

Si les The Amazing Spider-Man ont été rejetés par le public et les fans, c’est pourtant bien Andrew Garfield qui est acclamé ici, ainsi que l’un de ses méchants incarné par Jamie Foxx. Garfield a même droit à “continuer” son propre arc narratif en sauvant de la mort l’incarnation de sa petite amie, ce qu’il n’avait pu faire dans ses propres films. Il y a donc l’idée de retour vers le passé, non pas pour juste le célébrer, de manière intelligente ou abrutissante, mais pour le continuer. 

Les combats sont de plus de bonne facture, et la formule du trio Spider-Man contre le groupe de vilains fonctionne plutôt bien, les petits ballets des trois Araignées permettent même d’être un bon défouloir pour le spectateur, qui se laisse vite emporter par leurs acrobaties et leurs voltiges dans les airs, autour de la statue de la liberté, que le mauvais goût aura orné d’un bouclier de Captain America. 

De même, le combat entre Spider-Man – celui de Tom Holland – et Doctor Strange dans la dimension miroir est très impressionnant, doté d’un souffle épique à laquelle la musique participe, et qui est résolu, encore une fois, de manière surprenante pour un Marvel : ce n’est pas la force brute qui permet de l’emporter, mais l’intelligence, avec les calculs mathématiques de Peter Parker pour prendre Strange dans son propre piège. 

Le film n’est pas exempt de défauts, bien sûr, loin de là. Le scénario reste parfois assez grossier, le fan-service n’est parfois rien de plus que du fan-service, et Tom Holland peine à faire véritablement preuve d’une véritable force émotionnelle. 

Malgré tout, la conclusion du film garde en son sein la clé de ce qui en fait un tel succès, et qui provoque de telles réactions auprès du public et surtout des fans. En deuil, Peter Parker se bat avec le Bouffon Vert de manière très brute et viscérale – dans la limite de ce qui est convenable pour un film grand public venant d’un studio aseptisant – sans super-pouvoirs. Il renonce à la vengeance, garde ses valeurs morales de pitié et de bienveillance, et accepte les conséquences de ses choix et de ses échecs. Il est forcé d’effacer la mémoire du monde entier, de ses collègues super-héros, et surtout de son meilleur ami et sa copine. Ils oublient totalement qui il est, leurs relations. Un sacrifice de taille, qui force Peter Parker à repartir de zéro, encore que, il n’est plus le même, et est devenu un héros, en affrontant la mort et en étant prêt aux conséquences de ses actes. 

Il effectue une dernière accolade à ses autres versions de lui-même – comme un dernier geste inconscient de réappropriation de soi, d’amour-propre, et de transcendance – et redevient “l’araignée sympa du quartier”. A travers ce geste, c’est le spectateur lui-même qui se réapproprie son expérience et son histoire de spectateur, et ce n’est pas surprenant que nombreux sont les fans qui ont eu l’impression d’avoir 20 ans de leurs vie résumée et condensée de manière intense en 2 heures 30 de film. L’imagerie du film a de quoi briser quelque chose dans l’inconscient tout en imprimant autre chose à l’encre noire indélébile : ces trois Spider-Man, tous issus de films différents, voltigeant ensemble autour de la statue de la liberté, marquant la rétine et l’esprit, une expérience véritablement cinématographique, autant que la scène de leur retour dans le quotidien.

S’il faut retenir autre chose de ce No Way Home, c’est que malgré les efforts des deux films précédents, Marvel ne peut effacer les origines de Spider-Man, et en faire juste un héritier d’un milliardaire mécène et de ses conneries. Marvel ne peut pas non plus effacer les deux trilogies précédentes, ni leurs qualités filmiques et esthétiques. 

Sans pour autant que ce soient des chefs d’œuvres, ils échappent au rouleau-compresseur industriel hollywoodien. Alors, bien sûr, ce pari est très réussi pour Marvel, qui établit des bénéfices records et qui continue d’être un rouleau compresseur pour la créativité et l’innovation d’autres films et auteurs ne bénéficiant pas de la même force de frappe économique. Mais du moins pouvons-nous être satisfaits du fait qu’ils n’ont pas pu effacer l’histoire de ce super-héros et l’esthétisme cinématographique dans leur film, offrant autre chose au spectateur-consommateur qu’un défouloir de court terme stérile. 

La prochaine trilogie Spider-Man avec Tom Holland, déjà annoncée, nous montrera si le paradigme changera ou si ce n’était que la dernière exception confirmant la règle de l’uniformisation aseptisée.